Les procès Weinstein et P-Diddy révèlent-ils l'efficacité du système accusatoire américain face au modèle inquisitoire français ?
- Maître Galluzzo
- Jun 2
- 6 min read
En avril 2025, deux procès retiennent l'attention de l'opinion publique internationale à New York. D’un côté, Harvey Weinstein, producteur déchu d’Hollywood, revient devant la justice après l’annulation de sa première condamnation ; de l’autre, Sean Combs (P-Diddy) est jugé pour une multitude d’infractions, notamment des violences sexuelles. Ces affaires relancent une question essentielle : dans les procès très médiatisés de violences sexuelles, le système judiciaire américain, de type accusatoire, est-il plus efficace que le système inquisitoire français ?
I. Deux systèmes juridiques, avec deux conceptions du rôle du procureur
Aux Etats-Unis, le système juridique est qualifié d’accusatoire. Le procureur est chargé de constituer le dossier à charge : il cherche uniquement les éléments permettant de prouver la culpabilité de l’accusé et supervise l’enquête policière en ce sens. Le procureur présente ensuite les charges devant un grand jury puis supervise l’interrogatoire des témoins en audience. Dans ce procès, seul l’avocat de la défense intervient pour protéger l’intérêt de l’accusé.
En France, c’est un système inquisitoire. Le procureur mène l’enquête préliminaire, puis c’est un juge d’instruction indépendant qui fait des recherches, plus approfondies. Le procureur n’est pas partie au procès, mais il y a un magistrat représentant l’intérêt public présent lors de l’audience, et il intervient à charge et à décharge. Ce magistrat cherche autant à rechercher la culpabilité de l’accusé qu’à mettre en doute la parole de celui qui l’accuse, dans une recherche de vérité et d’objectivité. Lors de l’audience, c’est le juge qui dirige les débats et pose l’essentiel des questions, avec un objectif de recherche de la vérité.
Cette différence entre les deux systèmes juridiques a des conséquences sur la manière dont les procès sont menés, et dans le regard posé sur les différentes parties sur le procès.
II. Les procès Weinstein et P-Diddy
Le mouvement #MeToo, illustrant la libération de la parole des victimes d’infractions sexuelles, est né aux Etats-Unis à l’occasion du premier procès Weinstein. Son nouveau procès, ouvert en avril 2025 à la Cour Criminelle de New York, met encore une fois en lumière l’intérêt du système accusatoire pour la libération de la parole des victimes dans ce genre d’affaires.
Miriam Haley ouvre le procès avec son témoignage. Elle raconte s’être fait violer par le producteur le 26 juillet 2006. L’avocat de la défense, Jennifer Bonjean, enchaîne les questions. Contrairement au procureur, elle ne cherche pas à confronter la témoin dans ses accusations contre Harvey Weinstein, mais à mettre en lumière d’éventuelles contradictions. Il s’agit pour elle de comprendre pourquoi Miriam a continué à contacter son agresseur pendant des années après les faits qu’elle qualifie de viol. L’avocat lui demande pourquoi elle a donné son numéro à Weinstein en sachant qu’il avait l’intention d’avoir des relations sexuelles avec elle ; pourquoi elle a continué à lui écrire après les faits qu’elle décrit comme un viol ; pourquoi elle lui écrivait des mails avec la formule ‘lots of love’… Autant de questions qui tendant à souligner la complexité des faits.
C’est alors que Miriam rappelle la difficulté de la prise de parole des femmes avant le mouvement #MeToo : il lui semblait impensable de poursuivre un homme aussi puissant. En plus de cela, elle traverse à l’époque d’importantes difficultés financières, et se sent particulièrement vulnérable au vu de sa situation irrégulière (elle n’avait pas de visa à cette période).
La prise de parole de la témoin n’est pas seulement un témoignage juridique, mais devient un témoignage historique et une réflexion sur la place du pouvoir et de la séduction dans les relations intimes. A défaut de porter plainte, elle a décidé de jouer de son pouvoir de séduction pour tirer profit de cet évènement pour sa carrière. C’est là qu’il convient d’analyser les faits avec précision, pour comprendre ce qui était consenti ou non. Miriam insiste : le 26 juillet 2006, elle avait dit à Harvey Weinstein qu’elle ne voulait pas de ce rapport sexuel. Après ces faits, elle a pu jouer de son pouvoir de séduction pour obtenir des faveurs de ce producteur, elle espérait ainsi obtenir une réparation du mal subi, à défaut d’oser demander réparation devant la justice à l’époque.
Divers témoignages se succèdent les jours suivants. Les victimes sont poussées dans leurs retranchements pour reconstituer le plus précisément possible le déroulé des faits, pourtant anciens.
Parallèlement à cette affaire, un autre procès d’envergure s’ouvre à Manhattan le 12 mai 2025 à la Cour Fédérale de Manhattan, pour juger les faits commis par le producteur de musique Sean Combs (P-Diddy). Son ancienne compagne, Cassie, témoignait le 14 mai 2025 au 500 Pearl Street pour prendre la parole sur différents abus dont elle a été victime.
Son récit glaçant avance très progressivement, au rythme des questions posées par le procureur. Elle explique le mécanisme d’emprise subi, les violences physiques subies, mais aussi psychologique, la menant à se sentir obligée d’accepter certaines pratiques sexuelles, par peur et à force d’être sous emprise de drogues fournies par son compagnon.
Le procureur pose différentes questions à Cassie, pour comprendre l’ensemble du récit. Elle accompagne le récit de photographies en demandant à la victime d’analyser les images à la lueur de ses paroles et cherche à comprendre ses réactions de l’époque, en demandant pourquoi elle a menti à ses proches lui ayant posé des questions par exemple. Cassie décrit le mécanisme d’emprise dont elle était victime, et à quel point la peur de son compagnon la restreignait.
Le 20 mai, un des avocats de la défense pose ainsi une multitude de questions à l’un des témoins, Sharay Hayes, un escort. Ce dernier affirme que Cassie ne semblait pas sous l’emprise de drogues au moment des faits et estime qu’elle était consentante pour les rapports sexuels avec lui. Seul l’avocat de la défense pose des questions allant dans ce sens, pour tenter de prouver l’absence de culpabilité de Sean Combes.
La procureur, au contraire, ne cherche à aucun moment à piéger la victime avec ses questions. Elle est à ses côtés pour faire émerger les éléments nécessaires pour prouver la culpabilité de l’accusé. Seuls les avocats de la défense s’opposent à elle.
III. Qu’en est-il de la France ?
En France, l’actualité a été marquée par l’affaire Pélicot en 2024, une autre grande affaire juridique relative à des faits de viols. De ce procès, le public a retenu le courage de Gisèle Pélicot, qui a confronté ses agresseurs lors d’un procès en refusant le huis clos. En France, les procès pour faits de viols ont la réputation d’être particulièrement rudes pour les victimes. Non seulement les avocats de la défense jouent leur rôle en cherchant les failles dans le discours de la plaignante, mais en plus de cela le magistrat qui dirige le procès est censé instruire à charge et à décharge : il ne doit pas favoriser la victime ni l’épargner d’une manière ou d’une autre.
Le thème des violences sexuelles a beaucoup ému les Français. Ils se sont d’ailleurs montré particulièrement choqués lorsque l’une des avocates de la défense, Maître Nadia El Bouroumi, a diffusé une vidéo d’elle sur les réseaux sociaux, avant la chanson « Wake Me Up », en plein pendant le procès des viols de Mazan dont le thème était la soumission chimique et les viols commis sur une victime endormie…
Malgré une différence importante de procédure pénale, la France semble désormais vouloir mettre en avant l’importance du respect de la dignité des victimes de violences sexuelles lors des audiences.
Conclusion
Il semblerait que le système accusatoire américain ait facilité la prise de parole des victimes d’infractions sexuelles, créant un climat plus serein pour les victimes venant témoigner.
Le mouvement américain #MeToo a toutefois permis d’éveiller la sensibilité des Français à ces sujets également, permettant également un procès d’envergure en 2024, suite aux viols de Mazan.
Il faut toutefois éviter toute vision trop caricaturale de chacun des systèmes juridiques. Si aux Etats-Unis les victimes pourraient se sentir protégées par le fait que le procureur ne remet pas en cause leurs paroles, ce sont les avocats de la défense qui s’en chargent, et de manière particulièrement virulente quand l’accusé est une célébrité en mesure de s’offrir les avocats les plus réputés du pays. Tandis qu’en France, malgré le fait que les magistrats instruisent à charge et à décharge, ils sont encouragés à veiller au respect de la dignité de chaque partie : ils ne sont pas censés les attaquer agressivement.
Yael Assouly
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