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Le Procureur de Manhattan a-t-il suffisamment d’éléments à charge pour traduire Harvey Weinstein dev


Le texte qui va suivre est l’opinion objective et désintéressée de Matthew Galluzzo, avocat de la défense à New York et ancien procureur de l’unité spéciale du bureau du procureur de Manhattan dédiée à la répression des crimes sexuels.


Depuis que l’actrice Paz de la Huerta a porté plainte contre Harvey Weinstein auprès des services de police de New York (NYPD), les médias ne cessent de répéter que le Procureur de Manhattan a désormais suffisamment d’éléments à charge pour initier des poursuites judiciaires à l’encontre de ce dernier.


Selon un article récent de Vanity Fair qui relate les faits dont l’actrice aurait été la victime, Paz de la Huerta aurait, durant l’année 2010 été deux fois violée dans son appartement par H. Weinstein. Ce témoignage qui accompagne celui d’une douzaine d’autres femmes – principalement d’Hollywood – n’a fait qu’augmenter le souhait populaire de voir H. Weinstein condamné par la justice. Cy Vance, le Procureur de Manhattan fait à ce titre l’objet de pressions grandissantes l’invitant à initier des poursuites à son encontre. Son bureau a été vivement critiqué ces dernières semaines pour avoir classé sans suite la plainte d’une victime pourtant corroborée par un enregistrement audio et le témoignage d’une amie auprès de qui elle s’était confiée et ce, d’autant plus que le même jour, la presse révélait que l’avocat d’H. Weinstein était l’un des contributeurs financiers de la campagne de réélection de Cy Vance.


Pour autant, initier des poursuites à l’encontre de H, Weinstein sur le fondement de cette nouvelle plainte pourrait s’avérer plus compliqué que l’on ne le pense.


En effet, si dans le langage courant, tout acte sexuel de pénétration non consenti est considéré comme un viol, le code pénal de New York le définit d’une bien plus stricte manière. Il distingue en effet le viol, restreint aux seuls actes de pénétration non consentis d’un pénis dans un vagin (section 130.00 du code pénal de l’Etat de New York) des autres actes sexuels criminels comme les attouchements sexuels ou le sexe oral non consenti. Les peines prévues pour cette deuxième catégorie d’infraction demeurent néanmoins très élevées (sections 130.40, 130.45 et 130.50 du code pénal).


La notion de consentement au sens du droit pénal de New York est elle aussi très délicate. Selon le code pénal, plusieurs catégories de personnes sont considérées comme incapables de consentir à un acte sexuel de quelque nature que ce soit : (i) les personnes inconscientes au moment des faits (endormies, ou dans le coma par exemple), (ii) les personnes sous l’emprise d’une grande quantité d’alcool ou de produits stupéfiants et (iii) les personnes en bas âge (section 130.05 du code pénal).


Pour autant, le viol ou tout autre acte de pénétration non consenti ne sera qualifié que dans deux hypothèses : (i) si l’auteur de l’infraction a usé ou menacé d’user de sa force physique ou (ii) s’il n’a pas respecté le refus clair de la victime d’avoir un rapport sexuel avec lui (sections 130.05(2)(a), 130.00(8) et 130.05(2)(d) du code pénal)


Dans sa description du premier incident, Paz de la Herta ne dit pas qu’Harvey Weinstein a usé ou menacé d’user de sa force physique pour l’obliger à avoir un rapport sexuel avec lui. C’est du moins ce que révèle la lecture du résumé des faits réalisé par son psychologue dans une lettre après qu’elle se soit confiée à lui et dans le but d’en garder une trace écrite. On y apprend qu’elle s’est laissée faire, non pas sous la menace de la force physique mais bien parce qu’elle craignait le pouvoir d’influence de son agresseur présumé. On y lit en effet : « je me souviens de vous me disant que vous avez eu l’impression d’être forcée à avoir ce rapport sexuel, que vous n’en aviez pas envie mais que vous vous êtes sentie obligée pensant qu’on ne pouvait pas refuser pas les avances d’un hommes avec autant de pouvoir et d’influence ».

Ce témoignage risque malheureusement de compliquer la tâche des procureurs de Manhattan et d’affaiblir le dossier d’accusation. Ils pourraient bien évidemment dire que le fait de l’avoir poussée contre son lit et pénétrée par surprise était un un acte de violence. Reste néanmoins que les raisons qu’elle a donné pour justifier son absence de résistance face à son agresseur sont d’une toute autre nature. N’ayant pas eu l’occasion de rencontrer Madame de la Huerta en personne, il est possible qu’elle en ait dit plus et que nous n’ayons là qu’un extrait de sa version des faits. Reste qu’en l’état, et en l’absence d’un quelconque usage de sa force physique par H. Weinstein, la qualification de viol donnée aux faits relatés pourrait être remise en cause.


Je dis « malheureusement » car je pense que nous nous accorderons tous à dire qu’il abusif et moralement condamnable d’user de son pouvoir d’influence pour obtenir des faveurs sexuelles de la part d’un tiers. Pourtant, sauf rares exceptions – interdiction pour les gardiens de prison d’avoir des rapports sexuels avec les détenus ou pour les médecins avec leurs patients – un tel comportement n’est pas considéré comme une infraction pénale à New York (voir section 130.05(3)(e)-(h) du code pénal). Ainsi, si un employeur menaçait sa secrétaire de la licencier si elle n’acceptait pas d’avoir un rapport sexuel avec lui, cela ne serait pas considéré comme un comportement réprimé pénalement. La victime n’aurait aucune autre option que de demander réparation de son dommage auprès d’un tribunal civil. L’auteur de cet article sait que l’infraction de viol sous contrainte existe dans certains pays (l’Afrique du Sud par exemple, où l’auteur a brièvement travaillé comme consultant sur la répression des actes sexuels criminels, et notamment des viols). A l’instar de ces pays, l’Etat de New York devrait peut être incriminer, en tant que viol, le fait d’user de son pouvoir et de son influence pour forcer un tiers à avoir un rapport sexuel. Ainsi, si Madame de la Huerta a légitimement pu avoir peur qu’Harvey Weinstein ruine sa carrière à Hollywood si elle refusait ses avances, le simple fait pour ce dernier de profiter de cette situation de supériorité ne fait pas de lui un criminel au sens de la loi pénale new yorkaise. Cet argument technique, s’il ne serait pas sans déplaire aux jurés, n’en demeurerait pas moins valable juridiquement.


Au sujet du deuxième viol allégué sur sa personne par Harvey Weinstein, Madame de la Huerta énonce que ce dernier à continué de la pénétrer malgré son refus persistant d’avoir un rapport sexuel avec lui. Si les éléments prouvent que ce dernier a usé de sa force à cette occasion, cela pourra être qualifié de viol au premier degré (rape in the first degree). Dans le cas contraire, ces faits pourraient toujours être poursuivis sous une qualification moindre, celle de viol au troisième degré (rape in the third degree), un crime de classe E. Cette infraction réprime les situations dans lesquelles « la victime a clairement exprimé son refus de s’engager dans un rapport sexuel avec l’auteur de l’infraction, refus qu’une personne raisonnable, placée dans la même situation de l’auteur aurait interprété comme une absence de consentement» (Section 130.05(2)(d) du code pénal). Le code pénal de New York ne prévoit pas de peine plancher pour cette infraction mais la peine prononcée peut être supérieure à un an.


Pour autant, si cette qualification juridique pourrait bien s’appliquer au deuxième fait de viol allégué, l’accusation se heurtera à un obstacle insurmontable : la prescription. En effet, si l’infraction de viol au premier degré est imprescriptible, celle de viol au troisième degré se prescrit par cinq ans (sections 30.10(2)(a) et (2)(b) du code de procédure pénale de l’Etat de New York). Les faits seraient donc prescrits si telle était la qualification retenue par le Procureur.


De plus, si le procureur de Manhattan décidait de poursuivre Harvey Weinstein pour les faits rapportés par Madame de la Huerta, les avocats de ce dernier auraient plus d’une corde à leur arc. Connue des services de police, elle a d’abord été arrêtée en 2012 pour avoir agressé physiquement une mannequin après une dispute lors d’une soirée arrosée. Cela n’est pas sans entacher la vision que l’on pourrait avoir de son tempérament ou de son rapport à l’alcool aux moments des faits. La défense pourrait ensuite avancer que l’actrice a déposé plainte dans l’unique but de se faire de la publicité, alors que sa carrière est justement en train de s’essouffler. Ils pourraient même aller jusqu’à dire qu’au moment des faits, elle a volontairement couché avec lui, dans le but d’obtenir les rôles qu’elles convoitait et qu’au moment où elle n’a plus pu en profiter, elle s’est vengée en l’accusant de viol, profitant du contexte actuel et des nombreuses plaintes déposées à l’encontre de M. Weinstein. Enfin, ils pourront invoquer l’esprit logique des jurés et poser la question suivante : pourquoi Paz de la Huerta a-t-elle autorisé Harvey Weinstein a se rendre dans son appartement une deuxième fois alors même qu’elle dit s’y être fait violée par lui, quelques temps auparavant ? Autrement dit, le fait qu’elle accepte de l’accueillir une seconde fois chez elle démontre que le premier rapport sexuel qu’ils ont eu dans ce même endroit, était consentant.


Si de tels arguments risquent d’être difficiles à contrer, le Procureur de Manhattan ne devrait trop s’en faire. Contrairement à Bill Cosby qui continuait de jouir d’une forte popularité lors de son procès malgré les atrocités dont il était accusé, personne aux Etats-Unis ne porte aujourd’hui Harvey Weinstein dans son cœur. Unanimement impopulaire, il ne fera certainement pas l’objet de complaisance de la part des membres du jury comme cela a été le cas pour Bill Cosby lors de son dernier procès en Pennsylvanie, pour R. Kelly ou encore Michael Jackson par le passé. La publicité négative dont H. Weinstein fait aujourd’hui l’objet est un cauchemar pour quiconque s’attèlerait à le défendre. De plus, d’autres femmes pourraient être appelées à témoigner de son modus operandi. M. Weinstein devrait donc fortement s’inquiéter de toutes ces enquêtes menées à son encontre, enquêtes qui se termineront très probablement pour lui, par une peine de prison.


Il est difficile de prévoir la décision que prendra le bureau du Procureur de Manhattan à ce sujet. Sous pression, nationale et internationale il est fortement attendu de lui qu’il initie des poursuites à l’encontre d’Harvey Weinstein. Pour autant, pour toutes les raisons ci-dessus exposées, le dossier d’accusation risque d’être difficile à mener. Peut-être même devra t-il le classer sans suite, pour des raisons d’application stricte de la loi pénale.


L’auteur de cet article, Matthew Galluzzo, est avocat pénaliste et ancien procureur a Manhattan spécialisé dans la poursuite des crimes de nature sexuelle. Il représente également des victimes de viol et d’agression sexuelle et est régulièrement appelé à commenter l’actualité lorsqu’elle traite de ces sujets.

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